Coucher de soleil sur une carrière: Une transition difficile
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- mercredi 11 octobre 2017 13:40

Six mois se sont écoulés depuis l’annonce de ma retraite sportive. Si mon actualité sportive est bien moins remplie, ce n’est pas pour autant que les derniers mois furent calmes. Ils furent même remplis de hauts et de bas où chaque jour s’est apparenté à un défi. Si je pouvais résumer les derniers mois en une phrase, ce serait « Difficile de tourner la page ».
Il n’y a rien qui vous prépare réellement à l’après. Toute la beauté et l’intensité du haut niveau résident dans l’instant. Rester focalisé sur l’échéance qui approche est clé. Si votre regard se porte ailleurs que sur les 6 prochaines minutes de course, vous n’êtes déjà plus dans la course. C’est « All In » ou rien. Et puis cela s’arrête. Vous décidez que c’est la fin et que vous êtes prêt pour le chapitre suivant. J’ai eu l’utopie de croire qu’en choisissant mon moment, en aillant un bagage universitaire solide, un début d’expérience professionnelle, une offre d’emploi ferme, un cercle familial et social stable, un toit sur la tête et l’envie de réussir ailleurs, la transition serait naturelle et fluide. Je crois que la suite allait me prouver le contraire.
Je n’ai pas mesuré à quel point 17 années dans ce sport dont 14 à haut niveau ont pu m’impacter physiquement, émotionnellement et socialement. A écrire ces mots, je me dis « Cela semble logique. Forcément que l’aviron a eu un impact fort sur ta personne ». Oui mais voilà, rien ni personne ne vous prépare à la suite et on se sent bien seul face…à soi-même !
Physiquement
Pendant des années, le corps est votre outil de travail. On le malmène autant qu’on le ménage. Il y a cette relation détachée et complexe entre votre corps et votre esprit. L’un commande l’autre, et souvent, on se surprend à voir le corps en demander plus ou vice versa. J’ai repoussé mes limites physiques et par conséquent, l’image que le miroir me renvoie et celle de ce corps à l’instant « t » capable de l’impossible. Ce même miroir qui me renvoie un corps gorgé d’eau aux muscles saillants et bronzés par des heures passées sur l’eau.
Et puis il y a le Big Bang. Votre tête dit : « C’est fini. On ferme la boutique ». Mon corps ne le voit pas de cette façon. Le côté positif est que je suis plein d’énergie. Je sens que j’ai besoin de moins de sommeil et que je peux soulever des montagnes. Je sens que j’ai encore cette capacité physique de repousser les limites. D’aller vite. D’être meilleur qu’un autre. Et c’est le combat qui s’engage entre le corps et l’esprit. Je ne me perçois plus de la même manière dans le miroir. Ma masse musculaire fond à vue d’œil. Je commence à flotter dans mes pantalons. Mes t-shirts ne me serrent plus les bras. Je passe huit heures par jour derrière un bureau ou dans des salles de réunion. Et j’ai l’impression de prendre du poids alors que c’est l’inverse. Je me sens sale. C’est violent. Qui suis-je physiquement ? Je ne veux pas laisser le cœur sans un minimum d’activité sous peine de payer le prix fort d’un arrêt trop brusque. Alors je m’entraîne encore quelques heures par semaine. Par nécessité, mais aussi pour remplir le manque physique d’activité. Si je ne sue pas un bon coup dans la journée, je deviens irritable. Rien ne vaut une bonne dose d’adrénaline et d’endorphines. Les hormones sont une vraie drogue. Et le pire dans tout ça, c’est que je surcompense de 17 années de pratique intensive sans interruption. Cocktail détonnant.
Emotionnellement
Le combat s’est engagé entre ma tête et mon corps. Je sais que je ne suis plus prêt mentalement à m’entraîner 24 heures par semaine et à vivre dans cette intensité quotidienne qui est extrême et pousse à bout. C’est le postulat de départ. Mais bien évidemment, cela me manque. L’intensité me manque. Les relations extrêmes avec mes coéquipiers me manquent. L’aviron me manque. Je rame encore une à deux fois par semaine parce que j’aime ramer. J’aime la sensation. Mais cela envoie le stimulus suivant au corps « Tu peux encore le faire ». J’ai voulu me lancer dans d’autres activités comme le yoga ou la course à pied mais très vite, je ne retrouve pas la même chose. Et c’est bien là le problème : la sensation de vide. Il est facile de combler ce vide par…la même chose. Je me dis souvent que cela aurait été plus facile de devoir arrêter parce que le corps ne peut plus. Est-ce vrai ? Je ne le pense pas et je ne le souhaite à personne, mais au moins j’aurais l’impression de ne pas avoir cette voix qui me dit : « tu es encore capable de le faire ».
Il m’est arrivé de rentrer chez moi le soir, après une journée de travail et de pleurer dans mon casque de moto. La seconde d’après, je chante à tue-tête pour faire passer le moment avant que la colère m’envahisse et que je pousse le compteur à 180 pour me sentir vivant. Stupide certes, mais sur le moment, cela semble le seul moyen à ma disposition pour libérer une énergie captive. Bien sûr, je rentre à la maison en me disant que c’est l’occasion maintenant de passer du temps avec ma fille, avec ma femme. Des moments que je n’avais pas vraiment auparavant. Mais je rentre pour ne pas parler. Pour lâcher ma frustration autour de l’île à coup de 10km de course à pied avant de couper du bois à la hache ou de me lancer dans n’importe quel projet en cours dans la maison. Pour échapper à quoi ? Pour échapper à moi-même. Je deviens un mauvais père et un mauvais mari. Je ne sais plus gérer mes émotions, je les enfuie profondément et je sens que je tombe gentiment en dépression.
Socialement
Mon environnement m’a défini comme un athlète pendant de nombreuses années. J’avais la sensation d’être quelqu’un. On se fait un nom. On se crée un cercle social et amical via l’aviron. Et surtout, on est bon à quelque chose et on est reconnu pour cela. L’avènement des réseaux sociaux exacerbe même le procédé. Et tout à coup, je me suis retrouvé dans un milieu totalement différent où je ne peux pas encore mettre de valeur sur ma personne. Quelle est ma place dans mon entreprise ? Dans la société ? Qui suis-je maintenant ? En l’espace de quelques semaines, on doit totalement redéfinir son cadre social. En tout cas, c’est l’impression que cela donne. Car en réalité, j’ai autour de moi le plus solide cadre social qui soit : la famille et les amis. Toutefois, le sentiment d’appartenance et d’identité semble s’être évanoui. La connexion à mon sport s’est envolé. Quelques communiqués de presse et les quelques emails mentionnant mes « années de service » en équipe de France et au sein de l’équipe canadienne et le rideau tombe. C’est brutal. Toutefois, je m’aperçois aujourd’hui que la connexion à mon sport et les valeurs qu’il véhicule me manque. J’ai l’impression d’avoir beaucoup à partager et à redonner sans savoir quelle est ma nouvelle place dans le monde du sport. Y en a-t-il une ?
Ces trois composantes (physique, émotionnelle et sociale) ont rendu et continue à rendre la transition compliquée. Ces six mois furent parfois difficiles, mais ma capacité à écrire ces mots me fait dire que je vais mieux. Je suis capable de regarder les championnats du monde avec une pointe de nostalgie mais rien de plus. Le deuil se fait et j’apprécie de plus en plus ma nouvelle vie. Il n’y a peut-être pas de médaille d’or au bout du chemin ni d’entraînement extrême à maîtriser, mais je continue à avancer et à me construire.
Six mois semblent peu et je sais que certains mettent plus de temps à sortir de cette sombre zone. Peut-être suis-je dans une période de haut où le beau temps et le bronzage de l’été passé me donnent le moral ? Il y aura pour sûr des moments de doute et des questions à venir. Toutefois, si mes mots et mon expérience peuvent aider, je pense que d’initier la conversation aidera toujours à avancer. Rester seul avec ses idées noires n’est probablement pas la bonne manière. Certains auront lu cet article en se disant que je n’ai rien fait transparaître et que je l’ai bien caché. D’autres penseront peut-être que c’est un peu extrême ou tabou. Tous les sportifs ne ressentent pas les effets de la fin de carrière de la même façon et je ne fais aucune généralité de mon cas. Mais c’est probablement ce à quoi ressemble un combat intérieur.
En conclusion, je dirais que je pensais être paré. Je pensais que c’était pour les autres de tomber en dépression. Je pensais que cela serait plus facile. Mais on est bien seul face à soi-même. Donc ne restez pas seul et pensez à parler autour de vous.
« L’aventure continue… »