L'Après Rio

J’avais besoin de temps avant d’écrire ce post. J’avais besoin de rentrer chez moi auprès de ma famille, auprès de ma fille de 3 mois qui a bien grandi en 1 mois et demi. Besoin de voir autre chose et de digérer cette compétition.
Que vous dire sur cette régate ?


Nous étions arrivés prêts et en confiance. Nous savions que nous pouvions produire de la vitesse pour titiller la première place mais nous savions aussi que la courte expérience du quatre de couple canadien pouvait aussi être sa faiblesse face à des équipages avec une décennie voir plus de savoir-faire, d’héritage et d’expérience.

Arrivés sur place, nous avons découvert un bassin au pied du Corcovado, à quelques centaines de mètres de la plage d’Ipanema où nous y avons par hasard rencontré la fille ayant inspiré la fameuse chanson il y a plus de 50 ans. Nous étions à l’hôtel avec vue sur la plage, transport à vélo. Bref, idyllique.
Mais cette belle facette avait un revers. Les vents marins ont régi les Jeux Olympiques de concert avec les médias. Le premier jour de compétition ayant été programmé et ayant commencé de façon clémente à 8h du matin, il fut quasi impossible pour l’organisation de retarder ou reprogrammer une journée de courses dès l’entame de la régate. Je me souviendrai encore longtemps d’arriver sur le parc à bateau, 1h45 avant notre course, et de voir devant nous le 2 sans barreur serbe, prétendant au podium, se retourner à 300m de l’arrivée.
A ce moment là, les avis divergent sur le parc à bateau. « Cela ne peut pas continuer comme ça, ça devient dangereux ». « On y va quoiqu’il arrive ». « Il faut savoir saisir l’opportunités ».
Notre stratégie devint claire. Monter au départ de notre série. Profiter des premiers 500 mètres qui étaient protégés sans essayer de perdre de l’énergie afin d’attaquer la partie compliquée le plus relâchés possible. Il semble évident que ceux qui feront le moins de fautes seront ceux qui tireront leur épingle du jeu. Le dernier 500 étant plus « protégé » avec le vent du jour, nous voulions donc faire une course d’attente et d’attaque sur la fin. C’était le mieux au vu de nos forces et de nos faiblesses. Ne pas se détériorer techniquement et utiliser notre physique au bon moment. Nous pensions aussi que nos adversaires utiliseraient le 1er 500 pour maximiser leurs chances là où le bassin était le plus calme. Nous voulions faire l’inverse pour frapper quand personne ne pourrait plus répondre.
L’Histoire montre que les stratégies de batailles peuvent être des plus ingénieuses, remarquables, parfaitement bien pensées,...etc, mais l’issue est souvent dictée par l’incontrôlable ou l’imprévisible.
Tout commença comme prévu. A la lettre. Les Allemands et les Ukrainiens partirent aux avant-postes. Les Estoniens abattirent leurs cartes dans le 1000 du milieu. Nous étions dans la longueur derrière à limiter les erreurs, comme tout le monde. Les vagues frappaient la coque de partout. J’avais même changé ma petite barre pour une plus longue afin de contrer la houle et les « effets de surf ». On a fait tout un remue-ménage concernant la qualité de l’eau dans le lagon. Je peux vous dire que j’ai probablement bu l’équivalent d’une petite bouteille d’eau de 200 ml rien que sur ce parcours. Et je suis toujours en vie ! Bref c’était de la rame océanique. Mais c’est d’une voix calme que j’indiquais à mes coéquipiers que tout allait pour le mieux. Etant en charge des appels pendant la course, j’ai annoncé au 1250 notre position d’un simple « 4th. A length down », indiquant notre place en quatrième position, une longueur de bateau derrière la première. En gros, on est dans le bon wagon. Les Estoniens étaient donc aux avant-postes et nous étions au contact des Ukrainiens et des Allemands. Deux équipages qui semblaient souffrir des conditions après avoir dépensé leur énergie tôt dans le parcours. C’est alors que je prends la décision de lancer un « press » call. C’est l’heure d’ouvrir les vannes, de serrer les coups et de gagner en vitesse. Au son de mon « Yo », la coque prend de la vitesse. Je sens que mes trois collègues vont bien. Leur respiration, la façon dont ils réagissent aux attaques des vagues, leur relâchement. Je jette un œil au passage du dernier 500. Les Allemands sont presque une longueur de bateau derrière à présent. Nous sommes en train de passer la pointe devant les Ukrainiens. Dans ma tête, les Estoniens sont la cible suivante. Les 2 premiers seulement prennent leur billet direct pour la finale. Nous sommes sur les bons rails. Rien ne peut nous arrêter. La vitesse affiche 1’25/500. C’est presque 2 secondes plus vite que nos adversaires à ce moment là de la course. Je raconte cela car j’ai vu, revu, vérifié les données, repensé, revécu la course des centaines de fois. Et je n’oublierai jamais cette vague, peut-être un peu plus haute que les autres ou pas. Cette vague qui a frappé au mauvais moment, de la mauvaise façon. Je revois encore la rame taper la vague devant moi. Le tube qui monte dans les airs. La rame qui tourne sur elle-même et mon coéquipier devant moi, Rob, qui se retrouve avec la palette dans la main et la poignée dans l’eau. Une magnifique figure à 180° mais aucun juge pour noter la performance malheureusement. Tout s’arrête d’un coup. Je l’entends qui hurle un énorme « F*** ». Mais on ne peut rien faire. Le temps de remettre la rame dans la bonne position, à 400m de l’arrivée, tout est fini. C’est donc en dernière position que nous franchissons la ligne. A partir de ce moment, les choses sont allées de mal en pis. Certains équipages ont vécu la même fortune ou le même choc lors de cette journée. Certains s’en sont relevés comme Kim Brennan en skiff féminin ou les Allemands en quatre de couple. Mais pour nous, ce fut le début de la descente aux enfers. C’est là que l’expérience et les années de savoir-faire en tant qu’équipage font la différence. Cette vague et cette erreur n’ont pas été le catalyseur d’une performance à réaliser mais le coup d’arrêt à la confiance individuelle et collective. Nous avons couru le repêchage pour ne pas faire d’erreur. Pour courir d’après le livre. Pas pour courir avec notre cœur de façon libérée et ouverte. Les gens et les critiques du monde de l’aviron peuvent dire ce qu’ils veulent. Nous n’étions pas un équipage des plus techniques. Mais notre moteur, c’était la volonté, l’envie, l’indescriptible détermination à se dépasser et à pousser les limites de notre corps acquises lors des heures d’entraînement dont je ne peux même pas vous décrire l’intensité. Nous courrions pour les uns les autres jusqu’au bout. J’ai trouvé dans mes coéquipiers au Canada, les rameurs les plus déterminés et les plus fous quand il s’agit de douleur que je connaisse et ce, sans faire offense à tous les autres. C’est ainsi. C’est le Canada. C’est la culture ici. C’est ainsi que l’héritage s’est construit en aviron. C’est comme cela que nos prédécesseurs ont gagné leurs médailles depuis des décennies. Si ce moteur toussote un peu, il va sans dire que c’est de suite plus compliqué. Cette erreur nous a coûté notre confiance.
Mais on n’invente pas l’expérience. On n’invente pas le savoir-faire technique en quatre de couple. Et dans cette embarcation, pour l’avoir vécu en France, les années de défaites sont bien plus importantes que le peu d’années de succès. Quand en 2001, le quatre de couple U23 français s’est lancé dans l’aventure, le seul ayant débuté l’aventure et présent sur le podium en 2008 était Jonathan Coeffic. Cela a pris des années, des dizaines de personnes, une dernière place en 2004 aux JO. Des fonds de finales B entre temps. Des médailles en coupe du monde attestant du potentiel. Mais le potentiel n’est exploité que si la persévérance, la transmission de savoir et la volonté de comprendre ces défaites font partie de la recette. Quand en 2007 tout devint plus «facile », plus constant. Ce n’est pas de la chance. Quand en 2008, on fait une course moyenne en demi-finale des Jeux, notre base, notre savoir-faire collectif, nous ont permis de savoir exactement comment élever notre jeu. Mais on le doit à toutes les personnes qui sont passées avant et qui ont déminé le parcours pour nous.


Suis-je arrivé au mauvais moment au Canada ? En tout cas, je suis arrivé au moment de la transition. Au moment de la construction d’un nouveau projet. Ce qui est excitant et passionnant. Croire qu’on aurait pu devenir un acteur incontournable du quatre de couple en l’espace de quelques années était, de mon point de vue, une utopie. On aurait pu être médaillés et même gagner. J’en reste persuadé. Mais cela aurait été un coup de chance. Un coup de chance dans le spectre de nos performances au quotidien. La clé est de construire sa base en tant qu’équipage. Cette vitesse de base qui assure une performance dans n’importe quelles conditions, à n’importe quel moment et de manière efficace. Cela prend du temps, des kilomètres, de la synergie d’équipe et un socle commun qui permet à un nouvel arrivant de se fondre dans le moule. C’est là que les Allemands en quatre de couple ou les Anglais en quatre sans barreur font la différence. Il y un passage de témoin année après année. Prenons l’exemple du deux de couple poids léger français. De Chapelle à Touron à Dufour jusqu’à Azou. La connaissance de son équipage, de sa discipline, de son opposition sont des données qui se transmettent de coéquipier à coéquipier. Si Jérémie arrête, le jeune Houin saura ce que cela demande et ce que cela prend pour à son tour le transmettre. Mais ça ne s’invente pas.
De façon évidente, même avec des médaillés olympiques à bord, le quatre de couple canadien est à la genèse de ce process. Ne pas l’admettre et céder aux critiques faciles du « c’était mieux avant » en arrêtant tout serait pour le coup une vraie défaite. Cela reviendrait à perdre cette connaissance et ne pas capitaliser sur 4 années de travail. Ce n’est pas à moi de juger si la décision d’arrêter le huit en 2012 fut la bonne. Pour sûr, ce n’était pas le moyen de capitaliser sur le savoir-faire du moment. Tous les médias semblent se lancer dans une vendetta où le huit seul serait la solution à tous les maux. Mais 4 ans plus tard, que fait-on ? On reprend tout à zéro encore ?
Les Jeux, c’est fini pour l’aviron. Comme dans chaque sport et dans chaque fédération, les choses vont se décanter après. Les décisions et les stratégies d’une nouvelle olympiade vont se dessiner. J’espère juste que le long terme sera pris en compte avant de regarder le résultat brut qui malheureusement dicte les financements et la capacité d’action d’une fédération.


Les choses auraient-elles pu être mieux faites ? C’est toujours facile de regarder les problèmes en mettant le focus sur le négatif et d’oublier le positif. Et du positif, il y en a ! Je pense qu’on a commencé à toucher du doigt sur la dernière année la dynamique d’équipage, les spécificités du quatre de couple, l’importance des détails,...etc. Je reste persuadé que notre management a sous-estimé la complexité de la tâche d’un point de vue purement « quatre de couple » et je ne vais pas me lancer dans la liste exhaustive que nous débrieferons en tant qu’équipe. Je me suis beaucoup battu pour essayer d’avancer dans cette direction. Mettre à profit ma connaissance et mon expérience du quatre de couple car quand bien même les gens vous disent qu’il y a du temps, la dernière chose à faire est de gaspiller ce temps. Si j’avais pu condenser l’espace temps, je l’aurais fait. Ce quatre de couple a le potentiel. Le reste, c’est du temps, du management de projet et quelques dollars bien dépensés (comme pour tout).
Je tiens d’ailleurs à remercier toutes les personnes qui ont été acteurs de ce projet. Nous sommes juste la pointe de l’iceberg et vous avez été témoins de toute l’histoire et vous êtes un vrai soutien dans les bons comme dans les moins bons moments


Quelle suite ? D’un point de vue personnel, je ne sais pas encore quelle suite donner aux choses. Ce fut une aventure dont je suis fier et heureux. Il y a les médailles dans la carrière d’un sportif. C’est ce qu’on voit. Et puis il y a tout le reste. Tout le reste, c’est ce qu’on construit au quotidien. Les liens qu’on crée. Les amitiés qu’on forge. Les obstacles qu’on surmonte. Toutes les choses qui nous définissent en tant que personne au final. Et cette olympiade aura été une démonstration du genre puissance 10 ! J’ai encore plein de choses à donner, à vivre, à apprendre. L’aviron n’est qu’un vecteur. A ceux qui me demandent si c’est la fin ? Je réponds que tant que j’aime ce que je fais, je suis heureux. C’est un luxe dans la vie.
Néanmoins, j’ai besoin de digérer. J’ai besoin de souffler. J’ai besoin de voir quelle tournure prennent les choses.
Certains disent qu’il y a du temps avant 2020... mais c’est demain pourtant. A cette échelle, je vais prendre une nuit de réflexion. Il paraît que la nuit porte conseil.

 

« L’aventure continue... »